Le sfenje ou l'infini ?
Le sfenje ? c'est un beignet marocain aussi rond qu'un zéro. C'est ainsi que lorsque nous avions raté un devoir, certains professeurs nous pointaient du doigt en disant : "Toi : SFENJA !" Alors nous rentrions sous terre, humiliés, évitant de croiser du regard le geste éloquent du docte professeur, imitant le zéro, arrondissant le pouce et l'index... Un zéro à l'école ? - affront total, définitif, expression à la fois du zéphir et du vide, se dessine, le zéro, cette rondeur, comme une amorce de la voûte céleste ou de l'infini, le zéro : ça vous démolit le pire des cancres, ça vous écrase le voyou le plus rebelle. Paradoxe autant comique que dérisoire ! autant le cancre pavoise à l'idée d'une retenue ou autre sanction, qui le grandit aux yeux de ses admirateurs et admiratrices, dans son rôle de pourfendeur de l'ordre établi, autant la sanction du zéro lui est fatale, et le tue sur la place publique. Lui qui ne fait aucun compte de sa moyenne trimestrielle, le voilà considérant le zéro comme l'offense la plus déshonorante. "Sfenja" ! Comme si on insultait sa mère.
Zéro ou pas, le sfenje était autrefois fort prisé, et vendu, dans tout Casablanca, et notamment aux abords du lycée Lyautey : on achetait ses beignets en quantités, 6, 7, 8, 12, que le vendeur enfilait en collier autour d'un long brin d'herbe, appelons ça un brin d'art de vivre ! On se promenait dans la rue en se délectant, déambulant lentement les doigts gras, enfournant la chair moelleuse dans nos bouches affamées, se moquant déjà des possibles zéros, oubliant la sanction, et consommant à plaisir. On trouve encore des sfenjes dans Casablanca, entre deux "Pizza Hut", vous en trouvez. Et aussi la recette sur Internet.